RENCONTRE AVEC DOILLON
Ce matin, nous avons reçu la visite de Jacques Doillon, qui est venu témoigner son soutien à notre mouvement. La discussion s’est articulée autour de sa manière de faire du cinéma, de ses différentes expériences d’enseignement et de sa manière d’envisager le travail avec des étudiants. Il s’est « étonné du peu de cas fait du travail avec les acteurs », alors que pour lui c’est un travail « central » mais qui le devient de moins en moins dans le cinéma actuel, un fait dû selon lui de la mauvaise éducation à la direction d’acteurs. Il trouve cela d’autant plus dommageable que le véritable plaisir passe par ce travail avec les acteurs, et on ne peut se frotter aux acteurs en deux ou trois prises : il faut du temps pour construire une musique, trouver le rythme de la scène. Il est bien entendu absurde de définir un cahier des charges avant de savoir ce qu’on va filmer et qui on va filmer, sans parler de définir un métrage précis. Pour lui, ce mépris de l’éducation à la direction d’acteurs va dans le sens de la pensée commune qui dit qu’au théâtre on a le droit de répéter avec les acteurs alors qu’au cinéma c’est une question qui ne se pose pas ; on s’en remet au « génie » de ceux-ci.
A la question de savoir comment il envisagerait un enseignement dans notre école, il n’est pas possible de d’arriver pour un exercice déjà défini, puisque « si on vient de l’extérieur c’est bien pour travailler avec sa méthode » et non pas se plier à un cahier des charges imposé par une administration. Il va donc dans le sens de notre proposition concernant les cartes blanches, sur des cycles assez longs et d’instaurer une rotation entre les intervenants pour éviter que ceux-ci « s’accroche au rocher comme des moules » et ne se retrouve plus à venir simplement pour « cachetonner ». Cela lui semble absurde de travailler par année, les étudiants devant être libres de choisir de travailler avec lui selon l’intérêt qu’ils portent à son cinéma, pour les autres se serait « une punition pour eux et pour moi », ce qui rejoint un de nos principes de flexibilité. Une proposition de « collaboration » entre lui et les étudiants mettrait forcément en jeu, un travail sur le long terme avec les étudiants du conservatoire ou d’autres acteurs dont on prendrait le temps de caster puis de faire un film en incluant par évidence la notion de « collectif » plutôt que celle d’écurie.
En une heure, la vingtaine d’étudiants présents autour de lui se sont enfin sentis chargés par l’émulation d’entendre un maître parler de son art avec passion et une véritable envie de transmission, le regard en feu, la banane jusqu’aux oreilles quand il se remémore le moment, la prise où les acteurs lui font entendre pour la première fois la scène (mouchoirs).